Vélomagus, récit d'un vélotafeur accidenté.

Le Petit Poucet

On croit avoir tout dit et puis soudainement le passé ressurgit de manière étonnante.

Juste pour vous donner un repère temporel, 3 ans ont passé entre le début de cette histoire et l'écriture de cet article.

J'ai jusqu'alors beaucoup parlé de mon premier fils "Minimagus" qui avait 3 ans lors de l'accident. Mon deuxième fils "Micromagus" avait 5 mois à l'époque. "Mini" a vécu de plein fouet cet accident comme je l'ai déjà décrit précédemment et nous avons adopté un rituel lors du coucher en se disant "Je t'aime tous les jours de ta vie même si ..." et on complète à loisir la phrase. Ce rituel est non seulement toujours d'actualité, mais il a été adopté par le petit frère. C'est donc devenu presque un "mantra" ancré dans le cercle restreint de notre famille.

Je ressentais une sorte de gêne car j'avais l'impression qu'en fait ce pauvre petit dernier était le seul à ne pas partager cette histoire que nous avions en commun. J'étais totalement dans l'erreur. A défaut de se souvenir, il s'est réapproprié le tsunami.

Évidemment il n'était pas question de lui cacher quoique ce soit. Alors quand il s'est agit d'arrêter le vélo l'Hiver, il a bien fallu lui expliquer. Et puis, il l'a bien vu ce vélo tout cassé que j'ai mis un temps infini à démonter et à mettre à la déchetterie.

Puis un jour il s'est mis, comme son frère, à jouer à l'accident quand il faisait de la draisienne. Il faut bien se rendre compte qu'il a grandi avec ça. Il m'a vu faire des crises d'épilepsie et il me voit prendre ce traitement matin et soir pour éviter d'en avoir. Il a désormais l'âge qu'avait son frère lors de l'accident.

Un jour même alors que ce n'était pas spécialement le moment opportun, il m'a posé la question "Papa, pourquoi tu prends pas la voiture pour aller au travail ?". J'ai tout de du suite compris qu'il faisait référence à la date maudite.

En cette fin décembre 2020 nous avons perdu un grand oncle que nous adorions et qui était malade d'un cancer. Bien qu'on savait que cela pouvait arriver à tout moments, son décès est arrivé subitement. Dans ces cas-là, il est conseillé de faire participer les enfants aux funérailles s'ils le veulent (pour qu'ils comprennent mieux ce qui se passe, pour qu'ils n'aient pas de regrets également). Difficile de dire s'ils ont fait la connexion entre la mort et ce qui aurait pu arriver il y a trois ans. En tout cas, moi je l'ai faites. Je voyais mes funérailles par ricochet. Je vous laisse imaginer la charge émotionnelle quand j'ai vu mes deux petits gars poser une jacinthe sur le rebord de la tombe encore ouverte avec le cercueil dedans. Ce jour-là il faisait très froid, glacial même. En rentrant à la maison, "Micro" m'a dit "Papa regarde j'ai les mains glacées" et il appliqua ses mains sur mon front (qui est toujours semi-sensible). Je lui ai répondu que le froid à cet endroit précis me faisait un bien fou.

Et depuis ce moment il a trouvé lui-même sa façon de me dire "Papa je sais". Tous les soirs désormais, avant de s'endormir, il me fait un bisou à un endroit très précis qu'il ne choisit pas au hasard ... ma cicatrice au front.

Seulement voilà. Rien de tout cela est normal. Ce que j'ai évoqué là, et qui pourrait nous faire penser que la vie continue ne sont que des réflexes de survie.

Depuis quelques temps, Micromagus a commencé à montrer des signes de turbulences. Au début, nous avons cru que cela passerait. Mais cela ne passait pas. Il tape pour répondre, il est insolent : chez nous, chez les autres et à l'école. En rencontrant sa maîtresse de petite section, cette dernière s'étonne de le voir changer car, mis à part son comportement, tout porte à croire qu'il fait partie des enfants les plus éveillés. "C'est incroyable, on dirait qu'il en veut à la Terre entière!". Nous décidons donc de rencontrer un psy ... qui demande d'abord à nous rencontrer avant de rencontrer notre enfant. Et de fil en aiguille son diagnostic est sans appel: ce foutu accident. Alors que nous croyions en être sortis, nous sommes restés englués dans cette malédiction. Nos enfants, par loyauté envers leur père, ne font qu'absorber le choc pour m'éviter des tracas. Bien évidement tout cela est fait inconsciemment et pourtant, il y avait des signes évidents. Minimagus porte toujours une couche la nuit à bientôt sept ans et est secoué de tics nerveux. Le rituel du coucher interminable et cet éternel "Tous les jours de ta vie ..." comme si chaque nuit était la dernière. L'alerte c'est Micromagus qui l'a sonnée en étant devenu insupportable. Oui il en veut à la Terre entière car c'est sa façon à lui de dire STOP ! Mais comment faire alors?

Je dois arrêter d'être la victime. Tout simplement.

Arrêter de rapporter les choses à mon accident et le clore à jamais. Jeter ce fichu sac du CHU qui contient encore mes vêtements ensanglantés. Rassurer mes enfants en leur faisant comprendre que cette époque est révolue. Finir les démarches qui me lient encore à cette date. Lancer de nouveaux projets de famille. En parler à ma famille et mes proches pour que, eux aussi, aillent de l'avant. Cela passe aussi par le fait d'arrêter de me faire la morale tout le temps. Trouver encore et de nouveau cette force pour me dépasser. Un ultime effort. Celui du père qui doit reprendre sa place aux côtés de la mère pour continuer à être les fondations sur lesquelles les enfants doivent se reposer.

Et ce dernier geste ... terminer ce site Internet qui m'aide certes, qui me fait témoigner certes également, mais qui maintient la victime engluée dans son passé.

En attendant, il est assez incroyable que celui que l'on aurait pensé le moins impacté par cette histoire et qui n'était âgé que de 5 mois au moment des faits, soit celui qui ai réussi à nous ouvrir les yeux.

« On ne s'afflige point d'avoir beaucoup d'enfants,
   Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands,
   Et d'un extérieur qui brille ;
   Mais si l'un d'eux est faible ou ne dit mot,
   On le méprise, on le raille, on le pille ;
   Quelquefois cependant c'est ce petit marmot
   Qui fera le bonheur de toute la famille. »

"Le Petit Poucet", Charles Perrault